Date : 13/07/2025
Le Japon, archipel montagneux et densĂ©ment peuplĂ©, a depuis toujours façonnĂ© sa culture autour de la nĂ©cessitĂ© de vivre ensemble. La raretĂ© des terres habitables, conjuguĂ©e Ă une prospĂ©ritĂ© Ă©conomique qui a encouragĂ© la concentration urbaine, a rendu la promiscuitĂ© inĂ©vitable. Cette contrainte gĂ©ographique et dĂ©mographique a nourri une valeur centrale de la sociĂ©tĂ© japonaise : l’harmonie collective, ou wa.
Dans cette sociĂ©tĂ© oĂč chacun doit se fondre dans le groupe, Ă©viter de «âŻfaire des vaguesâŻÂ» est une vertu. Ne pas gĂȘner autrui, mĂȘme au prix de ses propres Ă©motions, est perçu comme une marque de maturitĂ© et de respect. Cette mentalitĂ©, si elle permet d’Ă©viter les conflits ouverts et d’assurer une paix sociale remarquable, a aussi un revers douloureuxâŻ: elle rend difficile l’expression des souffrances intimes.
Le Japon a longtemps connu des taux de suicide parmi les plus Ă©levĂ©s du monde dĂ©veloppĂ©, en particulier chez les hommes d’Ăąge moyen, les adolescents et les personnes ĂągĂ©es. Dans une culture marquĂ©e par le souvenir du seppuku, le suicide ritualisĂ© des samouraĂŻs pour laver l’honneur, la mort volontaire a longtemps Ă©tĂ© vue avec une certaine ambiguĂŻtĂ©. Non comme un acte glorieux Ă l’Ă©poque moderne, mais comme une issue qui, pour certains, semblait plus honorable que la honte de la plainte ou de l’Ă©chec.
Pourtant, depuis une quinzaine d’annĂ©es, le Japon amorce une inflexion notable. Le nombre de suicides diminue progressivement, grĂące Ă des politiques publiques de prĂ©vention, Ă la reconnaissance progressive des risques liĂ©s au surmenage (karĆshi) et Ă l’apparition de lignes d’Ă©coute, de campagnes de sensibilisation et de structures d’accueil pour personnes en dĂ©tresse. La sociĂ©tĂ© commence Ă dire que la souffrance n’est pas une faiblesse, mais une rĂ©alitĂ© que l’on peut et doit accompagner.
La dĂ©pression (utsubyĆ), autrefois taboue, est dĂ©sormais mieux connue et mieux prise en charge. Le recours Ă des psychiatres et Ă des psychothĂ©rapies se dĂ©veloppe, notamment dans les grandes villes. Bien qu’il reste beaucoup Ă faire, la culture Ă©volueâŻ: parler de sa douleur devient plus acceptable, et les gĂ©nĂ©rations les plus jeunes montrent davantage de volontĂ© Ă chercher de l’aide.
Dans un pays oĂč la densitĂ© humaine rend chacun plus visible, mais aussi plus seul dans la foule, la parole se libĂšre lentement. La sociĂ©tĂ© japonaise, forte de sa rĂ©silience, semble dĂ©sormais prĂȘte Ă reconnaĂźtre que prĂ©server l’harmonie passe aussi par la prise en compte de la fragilitĂ© individuelle.
Entre traditions de retenue et besoins contemporains de reconnaissance, le Japon montre que la douceur peut exister mĂȘme dans un archipel oĂč la souffrance a longtemps Ă©tĂ© tue.
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